Cane corso et "Malavita"


Le « brigandage » a toujours existé dans le Mezzogiorno, mais c'est lors des moments de crise politique les plus soutenues comme celle qui eut lieu en 1860 lors de la chute de François II des Deux-Siciles, que la criminalité redoublait fatalement dans tout le sud italien. Accueillant pêle-mêle toute la racaille des populations remuées, toute l'écume des prisons ouvertes, des flots de vagabonds et de malfaiteurs que les provinces du royaume de Naples comptaient. Lors de ces crises politiques il était courant de voir presque toujours le parti vaincu, se servir de ces bandits pour relever sa cause. Certains brigands devinrent forts célèbres dans toute l'Italie incarnant encore aujourd'hui l'esprit libre affranchie de toutes lois, comme par exemple Taccone et Quagliarella pour la Basilicate, ou Parafante, Benincasa, Nirello, Le Giurato ou Boïa dans les montagnes de la Calabre ou encore Paonese, Mazziotti et le Bizzarro régnant sur les forêts de l'Aspromonte toujours en Calabre.





... Ce dernier donc le fameux Bizzarro, avait instruit de gros chiens à faire la chasse aux hommes. Après une rencontre déplaisante, il lâchait ces chiens sur les fuyards. C'est ainsi que sous la domination française napoléonienne qu'un officier de la garde civique, attaché à l'état-major du général PARTOUEAUX, fut dévoré par ses chiens. Après l'arrivée de MAHES, Bizzarro, abandonné de sa bande, ne traînant plus qu'avec lui que deux hommes et son chien, fût réduit à un tel désespoir, que pour ne pas se laisser trahir par des hurlements, il écrasa contre un arbre un petit enfant qui venait de lui naître quelques semaines plus tôt. Alors, sa femme vaillante qui avait suivi jusque-là ce bandit et qui était la mère de cet enfant, se résolut à faire justice elle-même. Elle attendit le sommeil du brigand, lui pris son fusil et le tua. Après quoi, elle osa se présenter aux autorités de Mileto (ville calabraise), et réclama l'argent promis à celui qui aurait mis à mort le Bizzarro. La somme fut donnée fidèlement ; elle se remaria et devint une honnête femme.... Faits recueilli par Marc Monnier dans son oeuvre l'Histoire du Brigandage dans l'Italie Méridionale, édition Michel Lévy, 1862, p. 21. 

A la lecture de ces faits abominables nous pensons bien évidemment au cane corso, car seule la puissance d'un cane corso ou encore celle d'un mâtin napolitain qui, dressé avec cruauté, peut être l'un des deux seules races méridionales capables d'accomplir physiquement de telles horreurs. Le cane corso fût longtemps le compagnon de fortune ou plutôt devrions nous dire d'infortune des voyageurs, vagabonds et brigands de toutes espèces. Son gros potentiel de persuasion a souvent été utilisé comme arme pour détrousser de pauvres et honnêtes voyageurs de leurs biens. 


Il fut, également utilisé par les anciennes différentes organisations criminelles méridionales comme la Camorra pour la Campanie, où la Cosa Nostra pour la Sicile, la N'dragheta pour la Calabre ou encore plus récemment par la Sacra Corona Unita (SCU) pour les Pouilles. Le cane corso s'est distingué dans le mauvais sens du terme comme étant un allié cruel, notamment dans la garde de propriétés de chefs mafieux. Il fût également utilisé comme moyen de pression supplémentaire et « légal », lors du prélèvement du pizz' sur la population et qui leur servait par la même occasion également de fidèle garde du corps bon marché et même utilisé dans certains cas comme protection pare-balle lors de fusillades... 

Durant les années 1970, le Mezzogiorno fut l'atroce théâtre d'une grande série de rapts, organisés par de nombreux Malavitosi de l'Italie du Sud. Et plus particulièrement par la criminalité apulienne et calabraise, qui en firent une de leurs spécialités. Notables, riches propriétaires terriens, industriels, chefs d'entreprises, hauts fonctionnaires, magistrats, avocats etc. étaient visés. Souvent détenus dans des zones agricoles isolées, comme de vieux jazzi, ou encore d'anciennes masserie abandonnées, ou dans d'anciennes carrières désaffectées, où tout simplement dans des grottes naturelles (très nombreuse dans ces régions). Il est tout à fait probable que le cane corso ait servi à garder ces lieux sordides, lorsque les geôliers n'étaient pas présents, de par sa prédisposition naturelle pour cette tâche, mais surtout de par sa localisation géographique. 

Cet auxiliaire canin du crime, joua également un rôle prépondérant auprès des contrebandiers de métier et occasionnels. Dans le sud italien, pécheurs et agriculteurs se livraient parfois pour arrondir leurs fins de mois, au trafic de tabac, qu'il débarquait d'Albanie ou de l'Ex-Yougoslavie. Ce tabac de contrebande était souvent débarqué la nuit, pour être ensuite provisoirement stocké au petit matin sur des chantiers de construction, pendant une ou deux journées. Le temps que les contrebandiers écoulent leurs stocks. Ces stocks pouvaient être jalousement défendus par de féroces cani corsi enchaînés près du trésor. Ces chiens dangereux étaient choisis et utiliser pour tenir éloignés d'éventuels enfants et curieux, qui intrigués, par ces cartons se seraient approchés trop prêt du butin. Quand les contrebandiers repéraient un chantier potentiellement intéressant (souvent situé en périphérie d'une ville). Ils s'en servaient comme de caches, bien évidemment sans même demander l'avis au propriétaire, qui mit devant le fait accompli, ne pouvait refuser un « dédommagement » financier pour la gêne occasionnée par ce trafic. Dédommagement qui servait comme vous l'avez aussi et surtout à remercier le propriétaire pour sa discrétion. 

Voici une histoire qui met en évidence toutes les qualités (bonnes ou mauvaises) de garde de notre cane corso. Anecdote qui retrace la vie d'un énorme cane corso appelé Scacind' qui appartenait à un jeune homme que nous appellerons Tonin'. Tonin' était le petit caïd local d'une ville appartenant à la province de Bari. Antonio gagnait assez bien sa vie, en faisant une multitude de petits coups (vols, trafics en tous genres, recels etc.) dans toute région. Pour ses 45 ans, un vieux paysan qui gérait une ferme pour son compte, lui offrit en cadeau le plus imposant des chiots cani corsi nés d'une portée récente. Pas très enchanté par cet imposant cadeau. Au bout de quelques semaines d'inattention, Antonio fini par s'attacher à ce chiot et le surnomma Scacind', qui veut littéralement « Salaud » en dialecte barese. Le chien en grandissant, devenait à l'image de son maître, nerveux et vicieux, cherchant à mordre à tout prix toutes personnes étrangères qui pénétraient dans le cortile (cour). Scacind' monstre de plus de 65 kg, vivait là enchaîné à un vieil olivier qui trônait au milieu de la cour. Plus Scacind' grandissait et prenait de l'ampleur, plus sa chaîne se raccourcissait et s'épaississait. Car, ce chien devenait de plus en plus spectaculaire et hargneux, ce qui faisait le bonheur d'Antonio, qui redoutait qu'on le vole un jour à son tour. Vers ses 40 ans Tonin' fut retrouvé immolé non loin de chez lui (mort quasi courante pour un mafieux). Sa femme, qui avait toujours eu peur de ce fameux Sciacind', imprévisible et coléreux, appréhendait qu'un jour un accident se produis lorsque ses enfants jouaient dans cette cour, chercha donc à s'en débarrasser. Elle se refusait à le tuer, car son défunt mari y tenait beaucoup et comme il était encore bien vigoureux malgré ses 10 ans passés, elle tenta donc de le donner. Mais chose prévisible, personne n'en voulut, car Sciacind' en plus d'être très imposant, faisait vraiment peur, au point d'avoir terrifié la moitié de la famille et amis du couple. La veuve demanda donc au paysan chez qui le chien était né, de le reprendre. Elle le lui demanda comme un service auquel le paysan, attristé par la mort récente de son mari, elle ne put refuser. Après plusieurs tentatives infructueuses, le pauvre homme vint un matin chez la veuve du défunt Antonio, gara sa vieille Fiat Fiorino toute cabossée dans la cour, bien décidé à emmener Sciacind' dans son nouveau foyer. Malgré son grand âge (pour un molosse) Sciacind' fit un tel raffut et se montra si agressif envers l'agriculteur, qu'il fût contraint d'aller chercher son fusil et de l'abattre sur place au bout de sa chaîne. Lors de cette dernière tentative le vieil homme qui connaissait bien ces chiens compris, que le fidèle Sciacind' était le chien que d'un seul maître. Ce chien se montra si agressif, qu'à 10 ans passés il déterra par ses à-coups violents, quelques racines de l'olivier auquel il était attaché. 

Une autre anecdote concernant un mafieux qui de peur de se faire assassiner, ou arrêté se déplaçait en permanence avec son cane corso Zorro surnommé ainsi à cause de son masque noir. Lorsque le criminel entrait dans la cage d'escalier de son immeuble, il avait pour coutume de faire monter Zorro par l'escalier, d'attendre quelques minutes au pied de l'escalier. Si Zorro n'aboyait pas et qu'il ne se passait rien de suspect, il pouvait prendre prudemment l'ascenseur qui le menait à son étage où l'attendait sagement son dévoué Zorro. Grâce à Zorro, le malfaiteur déjoua une tentative d'assassina qui coûta la vie au bon Zorro, mais perdit la sienne quelques jours plus tard. 

Ou encore cette autre histoire plus récemment, qui est de notoriété publique dans les Pouilles. Où l'un des « boss » mafieux barese Eugenio Palermiti surnommé « ù gnor' » organisa un combat à main-nue avec un chien de combat. Afin de donner à ses soldats une vraie leçon de courage disait-il. Certains disent que ce chien était un redoutable cane corso habitué à combattre, d'autres un gros pit-bull (peut-être un croisement). Un jour lors d'un combat de chiens, dans son fief le quartier Japigia à Bari, excédé par l'argent qu'il venait de perdre, « ù gnor' » demanda à ses hommes de main de l'enfermer dans la cage avec un de ses meilleurs chiens de combats. Avant d'entrer dans la cage, il donna son arme de poing à un de ses lieutenants en lui demandant de l'abattre s'il perdait le combat ou d'abattre le chien s'il faisait prise à sa gorge (courageux, mais pas téméraire). Au bout d'une demi-heure de combat « ù gnor' » fini par tuer le chien, mais il ressorti de la cage recouvert de morsures dont une plus importante à la tête qu'il gardera surement à vie. Tous ses faits ont été avérés par une quinzaine de personnes auditionnées à la suite d'une vague d'arrestations dans le clan Palermiti qui eurent lieu en 2007. 

Lors de son rapport annuel sur la « zoomafia » la LAV (Liga Anti Vivisezione) nous rapporte qu'en 2008, il est encore honteux d'observer en Italie et plus particulièrement dans le Mezzogiorno des combats de chiens couramment organisés dans de nombreuses localités appartenant aux provinces de Naples, Caserta, Palerme, Ragusa, Foggia, Bari et Taranto. Sans vouloir justifier cette ignominie, cela peut peut-être s'expliquer par une forte criminalité dans ses régions, mais aussi par une forte tradition rurale additionné à un engouement populaire du combat de chien, que nous avons abordé dans le chapitre dédié. 
D'ailleurs d'un point de vue purement historique concernant la race, le cane corso s'est maintenu dans de nombreuses villes où les combats de chiens étaient encore couramment pratiqués il y a encore une vingtaine d'années et notamment dans la province de Foggia plus précisément dans les villes de Cerignola, Lucera, Manfredonia, Monte Sant'Angelo, San Paolo di Civitate, San Ferdinando di Puglia, Trinitapoli, San Giovanni Rotondo ou Vittoria pour la Sicile. La LAV estime à trois milliards d'euros le chiffre d'affaire annuel brassé par la zoomafia en Italie, dont 800 millions uniquement liés aux combats et trafics de chiens. Comme vous pouvez le constater ce secteur très lucratif, n'est malheureusement pas prêt d'être délaissé par ces organisations criminelles italiennes. Bien évidemment nous condamnons et dénonçons lourdement toutes ces pratiques indignes et cruelles. 













Nous tenons également à préciser à nos lecteurs, que ces anecdotes nous ont été comptées sans aucune précision, permettant d'identifier clairement des personnes ou des lieux, et donc par conséquent non vérifiées. 


Giuseppe GIORGIO