Un "Finistère" à l'italienne

Longtemps les côtes du Salento ont été une porte sur l'Orient. De ce "finis terrae" italien, à quelques milles marins de l'Albanie et de la Grèce, sont partie nombre de croisades. A l'inverse les envahisseurs n'ont pas manqués d'y débarquer au fils du temps. Les colons grecs on ouvert la voie au VIIIème siècle avant Jésus-Christ suivis, après la chute de Rome, par les troupes de l'empire Byzantin, les Normands et les Souabes de la dynastie des Hohenstaufen. Plus tard la région fut rattachée au Royaume de Naples, comme d'autres régions d'Italie du Sud. Tous ces peuples et ces cultures ont façonné la péninsule salentine qui s'avance entre l'Adriatique et la mer Ionienne. Exposés aux raids et aux attaques, ses villes portuaires ont dû se doter de remparts et de citadelles, de Brindisi à Tarente, en passant par Gallipoli et Otrante. Une défense insuffisante, cependant, face au assauts des Ottomans qui, en 1480 s'enpare d'Otrante lors de la célèbre bataille du même nom. Sous le commandement de Gedik Ahmed Pacha, les turcs massacrèrent la quasi totalité de la population, décapitant quelques 800 habitants qui refusait d'abjurer leur foi. Les rares survivants furent réduits en esclavage. Jamais la ville ne réussit à surmonter le traumatisme et ne retrouva sa splendeur passé. Son monastère San Nicola di Casole renfermait pourtant l'une des plus riches bibliothèque d'Europe. Aujourd'hui, avec son port de plaisance baignant dans des eaux turquoises, son château fort massif qui semble dormir tel un vieux chat, ses ruelles aux maisons blanches et ses remparts face au grand large, la petite ville de 5500 habitants ressemble à une bonbonnière. Niché en hauteur, le centre historique est souvent balayé par de puissantes rafales de vent. Mais cela ne décourage pas pour autant qui s'y présente dès les premières heures du jour pour admirer le pavement de la cathédrale d'Otrante. Mosaîque unique en son genre, réalisée par Pantaleone, un moine basilien et mosaïste du XIIème siècle. Y figurent aussi bien des scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament que des figures mythologiques, des monstres fabuleux, les signes du zodiaque et même des personnages chevaleresques comme le roi Arthur, ce qui reflète bien le brassage de culture qui existait dans la ville au Moyen-Âge. Etrangement la mosaïque vieille de près de 1000 ans n'est guère protégée. Si la zone centrale est délimitée par des cordons que l'on enlève pour accueillir les fidèles le temps de la messe, les visiteurs piétinent allègrement les allées latérales. Et vu le nombre de curieux qui viennent contempler les crânes des 800 martyrs exposés dans l'énorme placard vitré, les tesselles noires et blanche risquent de ne pas résister longtemps au va-et-vient incessant des talons et semelles modernes.

Après ce bain de foule, une excursion s'impose aux lacs Alimini, au nord d'Otrante - une oasis protégée au coeur d'une nature sauvage, à quelques pas de la Baie des Turcs. Cette magnifique plage de sable, où comme son nom l'indique, aurait débarqué l'ennemi ottoman, est incontestablement l'un des plus beaux sites naturels des Pouilles. En direction du sud, en revanche, sur la route menant à Santa Maria di Leuca, la route n'est qu'une longue suite de roches, de criques et de grottes marines. A Punta Palascia, à la sortie d'Otrante, se trouve le point le plus à l'est de l'Italie, également point de séparation officielle entre l'Adriatique et la mer Ionienne. Le long de ces vastes étendues de rochers léchers par des eaux transparentes, les paysages sont spectacualaires : Castro et sa grotte Zinzulusa s'ouvrant sur la mer ; Santa Cesarea Terme et Porto Badisco... autant de petites stations balnéaires qui séduisent d'emblée les visiteurs de passage. Quant à Santa Maria di Leuca et ses belles villas du XIXème siècle e, bord de mer, la légende veut que Saint Pierre, en route pour Rome, y est débarqué de Palestine.

C'est en remontant la cote Ionienne en direction de Tarente que l'on trouve les longues plages sablonneuses qui font la joie des estivants. Parmi les plus importantes, citons Torre San Giovanni, Porto Cesareo et surtout Gallipoli. Blottie sur une île dont le pourtour dépasse pas les 1,5 km, cette antique cité mérite bien son nom : en grec Gallipoli signifie "Belle Ville". Bien à l'abri derrière ses remparts, ce petit port de mer aux eaux limpides possède, en effet, un cachet incomparable. Surnommé la "Perle de la mer Ionienne", il fut un point stratégique au temps de la Magna Grecia, mais connut véritablement son âge d'or aux XVIème et XVIIème siècle. Il doit notamment sa fortune au commerce de l'huile d'olive lampante, destinée à l'éclairage public domestique, qui s'exportait vers toute l'Europe, de l'Angleterre à la Russie, en passant par la Scandinavie.
Sur les 35 pressoirs à huile hypogés que comptait la ville, il n'en reste plus que 2 aujourd'hui, dont un a été transformé en musée. Autrefois, 8 à 12 personnes y vivaient et travaillaient d'octobre à avril, sans jamais remonter à la surface et voir la lumière du jour, à l'exception de 4 journée à Pâques. Les conditions de travail étaient si dures qu'aucun habitant de Gallipoli ne voulait y descendre. Seuls les paysans venus de l'intérieur des terres acceptaient de se laisser enfermer dans ces espaces réduits, avec les ânes et la moiteur et la puanteur des olives en fermentation. La richesse passée de la ville se reflète également dans les confréries qui continuent d'exister entre ses murs. Jadis réparties par métier - notaires, marins pêcheurs, médecin... - elles font aujourd'hui encore la renommée de Gallipoli grâce à leurs processions spectaculaires durant la semaine Sainte.

A quelques kilomètres de Gallipoli, en remontant vers le nord, se trouve un des endroit les plus enchanteur du globe. Le Porto Selvaggio est un ultime paradis, un éden sauvage de toute beauté, où le maquis méditerranéen s'ébat dans une rare luxuriance. Dans ses criques, les noirs rochers jouent avec la mer d'un bleu cristallin, où sintillent les reflets tachetés d'or du soleil. Seuls les cris de la huppe ou les chants de la fauvette à tête noire nichant dans les pinèdes voisines vient troubler le silence des lieux. La paix qui émane de ce parc de 1000 hectares est si puissante que l'on éprouve toute les peines du monde à le quitter le soir venu. Il faut rendre hommage à la détermination de Renata Fonte, l'adjointe à la municipalité de Nardo dont dépand le parc, assassinée en 1984, alors qu'elle luttait pour préserver le site contre le lotissement et la spéculation immobilière.

Extrait du magazine Ulysse n°125 juillet-août 2008 - Article écrit par Régine Cavallaro

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