Rapports entre cani corsi et équins


La région des Pouilles a toujours été intimement liée à celle des équins et ce depuis l'antiquité, car les chevaux produits dans les Pouilles ont toujours été de majeure renommée. La région apulienne a toujours été le plus important fournisseur de chevaux de valeur de toute la Péninsule. D'ailleurs Alexandre le Grand, lui-même tenu en haute estime sa cavalerie tarentaise. L'armée d'Hannibal le carthaginois au cours de la deuxième guerre punique écrasa les troupes romaines lors de la bataille de Canne ancienne ville située non loin de Barletta dans les Pouilles, fût saisir dans la région près de 4000 chevaux. Les apuliens étaient si rétifs à la domination romaine et si bons cavaliers que l'empereur Valentinien Ier en interdit l'utilisation sous peine de mort. C'est ainsi que moururent 7000 rebelles apuliens, lors d'une seule campagne de répression. C'est sous le règne de Frédéric II de Hohenstaufen qui régna sur le St-Empire romain germanique de 1220 et mourut en 1250 à Fiorentino non loin de San Severo une ville de la province de Foggia, que le cavallo Murgese (cheval des Murge) pris son essor. Les chevaux de l'empereur étaient estimés à l'époque comme étant les meilleurs chevaux du monde.
Considérés comme une arme stratégique, il en avait absolument interdit l'exportation sous peine de lourdes punitions. Ces chevaux étaient élevés dans trois fermes murgianes non loin de sa résidence du Castel del Monte. Comme en effet selon lui et il avait raison, les chevaux ne devaient pas être élevés dans des zones vertes et humides, mais plutôt sur des collines arides et rocailleuses, précisément comme celles des Murgie précitées. Comme toujours selon lui elle en améliorerait la dureté des sabots. Dans son fameux traité de vénerie Art Cum Venandi Avidus, l'empereur donne une description des exigences du cheval de fauconnerie qui va comme un gant au cheval Murgese, presque toutes les autres races équines sont naturellement intolérantes à la présence et au vol du faucon comme de l'aigle aussi proche d'elles sauf celle du murgese. Entre 1400 et 1500, la République de Venise produisit toujours dans la Murgia ses meilleurs chevaux notamment dans la masseria della Serenissima, près de Monopoli, qui s'appelle d'ailleurs encore aujourd'hui « La Cavallerizza » terme générique désignant une ferme spécialisée dans l'élevage de chevaux. En 1600, la cour de Madrid (la plus importante d'alors), qui pour revitaliser ses races de chevaux en déperdition fît l'acquisition d'étalon Murgesi. Et c'est en 1700 que la Cour de Vienne, la plus considérable d'Europe d'alors, connue mondialement connue pour son école d'équitation espagnole, se procura également deux étalons Murgesi Conversano et Napolitano qui donnèrent naissance aux deux plus mémorables lignées de Lipizzan (célèbre race de travail) au monde. Au 19e siècle le Murgese, fût l'un des plus précieux alliés des populaires Brigands qui mirent à feux et à sang le pouvoir et ses institutions établies, dans tout le Mezzogiorno. C'est à l'accession de l'industrie qui fit progressivement comme partout ailleurs disparaitre l'utilisation de cette fabuleuse race équine qu'est le majestueux Murgese. Fabuleux cheval à la robe noire brillante, ne dépassant pas les 1,70 m de haut, donc de taille moyenne pour un poids maximum de 400 kg. Race qui a été de tout temps traditionnellement élevée en semi-liberté dans les bois et les pâturages broussailleux des Pouilles. Comme nous l'avons vu précédemment c'est cet environnement particulièrement ingrat qui a renforcé l'une de ses qualités premières, la frugalité. Ce cheval rustique a su développé des capacités de résistance contre les diverses parasitoses, mais surtout une majeure résistance à la végétation épineuse ou contre certaines maladies liées aux caprices d'une météo peu clémente dans cette partie de la Péninsule. Les chevaux Murgesi étaient très appréciés pour la selle ou le travail dans toute l'époque (attelage, trait léger etc.), d'ailleurs ce cheval est sans aucun complexe le cheval « baroque » par excellence. Les éleveurs équins avaient pour habitudes de marier pour le travail un âne de race locale comme celle de Martina Franca à une jument Murgese, le fruit de ce mariage donnait naissance à un hybride nommé(e) il mulo (mulet) ou la mula (mule). À l'inverse si un étalon de race Murgese saillissait une ânesse cela donnait naissance à un hybride moins apprécié pour le travail appelé bardotto (bardot). Le but étant d'allier la sobriété et la majeure résistance aux maladies de l'âne, à la force et la taille de la jument. Ces hybrides rustiques étaient des bêtes de travail infatigables et très appréciées dans toutes les campagnes et cités du Mezzogiorno. Seuls les bardotti, obtenus bien souvent accidentellement, étaient fort peu appréciés des paysans, car ils ne témoignaient ni de la force du cheval, ni de la placidité de l'âne, ces hybrides ne trouvaient grâce aux yeux de personne et étaient généralement destinés à la boucherie, car leur viande était très appréciée sous forme de saucisse par cette population paysanne. Jusqu'au début du 20e siècle, pour certaines professions et jusque dans les années 1950/60 dans l'agriculture, les équins étaient l'indispensable moyen de transport et de traction des hommes. Comme nous venons devoir plus haut dans le paragraphe les Pouilles était l'une des principales régions d'élevage chevalin d'Italie, à une époque où l'armée n'avait que ceux-ci et les jambes des soldats comme moyens de transport. Aussi, les chevaux comme les hommes étaient mobilisables. Les chevaux et juments étaient recensés à partir de l'âge de six ans, mules et mulets à partir de quatre ans. Dans les plus petites masserie d'autrefois, à une époque où les brancianti étaient peu nombreux (car trop coûteux) le capo-carriere y régnait en maître, parmi le personnel de la ferme. Le matin après avoir réveillé les autres lavoratori, il était le premier à l'écurie à étriller et brosser à ses chevaux. Il partait ensuite se débarbouiller au puits ou à l'abreuvoir et déjeunait sur le pouce un bout de pain accompagné de lard froid et de fromage. Les chevaux harnachés était alors conduit à l'abreuvoir et c'était le départ aux champs.

 Les horaires de travail étaient les suivants :
- en hiver de 5 heures à 18 heures ; de 4 heures à 20 heures en été;
L'homme, le cheval ou mulet et outil ne faisait qu'un. Chaque ouvrier avait ses chevaux, son attelage toujours composé des mêmes chevaux, deux ou trois, qui travaillaient ensemble, à la même place, toujours affecté aux mêmes conducteurs. Ces conducteurs savaient parler aux bêtes :
- Uiaaaah ! Pour aller à droite ;
- Siaaaaah ! Pour aller à gauche ;
- Isceeeee ! Pour stopper la bête ;
- Huuiéééh ! Pour reculer ;
Sans compter tous les petits mots gentils et tendres adjectifs, propres cette profession. Il n'était pas rare de croiser un muletier maudire son fidèle compagnon quand celui-ci avait décidé de s'accorder une pause. Si certains muletiers (incompétents à notre sens) pouvaient être accompagnés de cani corsi, afin de parer à tout éventuel caprice de leurs précieux équins. Les carretieri (charretier de transport) ou trainirr' (dialecte andriese), ou les vendeurs ambulants comme les merciai ou ziarloir' (merciers ambulants) affectionnaient particulièrement les cani corsi. Comme ceci étaient chargés de la sécurité du charretier ainsi que de sa marchandise en son absence lorsque ce dernier s'arrêtait pour charger sa marchandise. Ou bien lorsque épuisé, par de longues heures de route, il s'endormait aux rênes de sa pauvre mule ou jument évitant ainsi de qu'on lui chaparde quelques marchandises en roulant, notamment lorsqu'il traversait les villes. Les trainirr' étaient propriétaires et conducteurs de char agricole appellé train' (véhicule et animaux), ces train' servaient à tout type de transport, mais plus souvent au produits agricoles : oaloive, amèlle, ièuve (olives, amandes, raisins), mais aussi au transport de limene (bois) : taccaredd' (petits bois), trongh' (troncs) servant à la cuisine et au chauffage. Le train' était souvent tracté par un seul animal (cheval ou mule), mais quelquefois pour les plus riches il pouvait être tracté par 3 animaux le train' (char) devenait la rètne à soine (char à 3 têtes). Sur ce type de char on plaçait l'animal le plus robuste au centre sdangh' et les 2 autres latéraux étaient appelés valazoine. Les trainirr' qui effectuaient de longs voyages notamment vers les Abruzzes et Apennins revenaient souvent chargés de nourriture élaborée dans les foyers montagnards : pates, charcuterie, légumes secs etc., qu'ils revendaient dès leur retour dans les villes. Les trainirr' autrefois animaient les villes, notamment les trainirr' da vino è olio (transporteurs de vin et d'huile), mais surtout les vendeurs ambulants alimentaires fruits et légumes, poissonniers, fruits secs et noisettes, certains mêmes étaient de vrais bazars ambulants. Les vendeurs ambulants parcourraient toute la ville et la campagne en criant quand il apercevait des personnes, avec leurs beaux chevaux, ainsi que leurs traino atypique colorés, attirant les enfants qui les suivaient dans quartier par quartier. Les trainirr' da vino è olio avaient une assises particulière de biais. Les enfants s'asseyaient sur les trottoirs pour assister au spectacle, les charretiers s'en donnaient à coeur joie et faisaient claquer leurs fouets de plus en fort, improvisant mêmes quelques courses sur plusieurs centaines de mètres. Mettant ainsi en avant la puissance de leurs chevaux, qui était quelque part leur fierté. Surtout lors des campagnes des récoltes d'olives en hiver et des vendanges en automne, toute la profession était en ébullition. 

Un lien très fort pouvait se tisser entre le trainirr' et son cane corso de par l'isolement du métier qui obligeait le charretier à être sur les routes une bonne partie de la journée une douzaine d'heures par jour, si ce n'était pas plusieurs jours d'affilés pour les trajets les plus longs. Trajets qu'ils effectuaient hiver comme été, sous les intempéries et sur des semblants de routes peu carrossables. Les trainirr' ne semblaient pas être très sensibles aux couleurs de robes de leurs cani corsi, donc nous imaginerons en émettant peu de réserve qu'une couleur de robe sombre pouvait-être préférée à une robe claire, pour les mêmes raisons que celles évoquées dans le paragraphe concernant la garde. En plus de défendre le chargement et son maître, bien souvent les cani corsi comblait la solitude de ce dernier en effectuant des petits tours que son maître lui avait appris pendant ces longues heures de route. Il n'était pas rare de voir un cane tenir les rênes du train' quelques minutes pour amuser la « galerie », ou d'aboyer sur ordre, de monter sur le dos des mules, juments etc. D'ailleurs quelques routiers aujourd'hui encore, ont l'habitude d'emmener avec eux, lors de leurs déplacements quotidiens, un fidèle compagnon à quatre pattes. En plus du rôle de mascotte « porte bonheur » que joue ce chien, ces derniers servent à les prévenir en cas de tentative de vol notamment la nuit quand ces derniers stationnent sur les aires de repos autoroutières.
Don Lillo TURIDDU - Vittoria (RG) 1960 - Cane corso surnommé "Furiusu" (Furieux)
Toujours dans un certain nombres d'ouvrages spécialisés, ces mêmes auteurs nous décrivent des cani corsi présents près des troupeaux équins à la manière d'un chien de protection de troupeau de brebis, afin de le protéger contre les prédateurs. Ayant même des robes bringées se confondant avec l'environnement typique des hauts plateaux des Murge etc., ce qui nous parait être totalement impertinent. Comme les équins sont à même de se protéger seuls même contre de gros prédateurs. D'ailleurs l'âne est couramment utilisé aujourd'hui encore dans les Pouilles, comme dans bons nombres de régions d'Europe comme animal de protection au sein de troupeaux caprins et/ou ovins. Les ânes possèdent une excellente vision, une ouïe très fine et un bon odorat. Ils utilisent ces trois sens pour détecter les intrus, ils braient, montrent leurs dents et essayent même de mordre ou donnent des ruades mortelles aux prédateurs, comme par exemple les loups. Quand il est seul l'âne protège assez bien de petits troupeaux, car il peut observer d'un seul coup d'oeil une activité anormale dans le troupeau. Quand ces troupeaux n'étaient pas rentrés chaque nuit aux écuries, ils étaient bien évidemment gardés par des fermiers ou des gardes privés susmentionnés plus haut, qui écartaient ainsi les éventuels abigéats et prédateurs. De même que la légende du scafall' (tiroir) situé à l'arrière du traino, tiroir qui mesure 40 cm x 40 cm pour 20 cm de haut, qui servait de rangement pour aux cordes d'attache et qui d'après ces mêmes auteurs servirait de couche de repos aux cani corsi utilisés par les trainirr'... Inutile de vous rappeler les mensurations physionomiques de notre cane corso pour en conclure qu'il n'y entre pas... Parfois certains paysans ou charretiers suspendaient de petits paniers sous leur charrette afin de conserver leur eau et celle du cheval au frais, mais rien de très stable et confortable qui pourrait servir de couche à un animal, même si celui-ci ne craint pas d'être ballotté, ni le mal de mer. Il est également bon de rappeler que le cane corso n'a jamais eu un véritable rôle de chien de protection des troupeaux, car c'est un chien trop dépendant à l'homme pour accomplir cette lourde tâche, en revanche il s'est avéré être un parfait auxiliaire de conduite notamment sur les gros bestiaux en plus de ses fonctions principales qu'étaient la défense et la garde.

Le Dr Flavio BRUNO, nous a fait part d'une histoire qu'un ancien charretier lui avait contée. Ce charretier était l'heureux propriétaire d'une cane corso Tigre nommé ainsi pour ses bringures. Tigre disait le vieux charretier lui avait sauvé la mise et peut -être la vie deux fois dans la même journée. En empêchant le vol de son chargement de grain, il réussit à mettre en fuite 2 voleurs le matin et le défendit d'une agression menée par trois personnes du voyage qui comptait lui voler ses trois chevaux. Le chien réagit en quelques secondes, il sauta immédiatement à la gorge d'un premier agresseur, si violemment qu'il contraint les deux autres à prendre la fuite, tétanisé par la vision de leur compère allongé sur la route. Le soir venu, il décida d'accompagner à la chasse un ami, afin de se remettre de toutes ces émotions endurées ce jour. Lors de cette virée nocturne dit le vieil homme, Tigre s'illustra une troisième fois en capturant un très beau spécimen de blaireau.


Auteur Giuseppe GIORGIO