Le chien de protection vu par VARRON

Je voulais également partager sur ce blog un des plus formidables témoignages littéraires concernant le chien de protection de troupeau ovin. Ce témoignage vieux de plus de 2000 ans, pourrait servir de référence même encore aujourd'hui. La description du chien de protection est complète et d'une précision redoutable. Elle aborde la physionomie du chien, mais surtout son rôle ainsi que son hygiène et les soins apportés à celui-ci. Cette traduction de texte, est tirée de l'oeuvre De Re Rustica (traité d'agriculture en trois volumes, dont j'ai conservé la totalité du texte concernant les chiens de troupeaux ; Ce sont 3 livres adressés à sa femme Fundania : l'art du cultivateur, les troupeaux, l'économie rurale). Le tout écrit par Marcus Terentius VARRON, né à Rieti en 116 av. J.C. et mort en 27 av. J.C.. Pour information Rieti est une petite ville située en plein centre de l'Italie très proche des Abruzzes.

Livre II Chapitre IX.

...Maintenant, dit Atticus, Il ne nous reste plus à parler que des chiens, race intéressante, pour nous autres surtout qui élevons des animaux à laine. Le chien est le gardien du bétail en général; mais il est le défenseur naturel des brebis et des chèvres. Le loup est là sans cesse qui les guette, et nous lui opposons les chiens. Quant aux animaux portant soie, verrats, porcs châtrés et truies, ils tiennent du sanglier, dont la dent est si meurtrière à nos chiens dans les chasses, et ont tous de quoi se défendre. Que dirai-je? Un loup ayant un jour paru au milieu d’un troupeau de mulets au pâturage, ceux-ci aussitôt, par un mouvement instinctif, formèrent un cercle autour de lui, et le tuèrent à coup de pieds.
Quant aux taureaux, ils se serrent croupe contre croupe, présentant au loup les cornes de tous côtés. Pour en revenir à mon sujet, il y a deux espèces de chiens: d’abord les chiens de chasse qui sont dressés pour la bête fauve et le gibier, et les chiens de garde qui sont de la dépendance du berger. Je me borne à traiter de ces derniers, en suivant les neuf divisions méthodiques que vous avez indiquées pour le régime général des bestiaux. Il faut d’abord choisir des chiens d’âge convenable. Trop jeunes ou trop vieux, loin de défendre les brebis, ils ne peuvent se défendre eux-mêmes, et deviennent la proie des animaux féroces. Quant à l’extérieur, prenez-les de belle forme, de grande taille, avec les yeux noirs ou roux, les narines de même couleur, les lèvres rouges en tirant sur le noir, ni trop retroussées, ni trop pendantes. On examinera encore s’ils ont les mâchoires allongées et garnies de quatre dents, deux en bas, et deux en haut; celles d’en bas saillantes en dehors de la gueule; celles d’en haut droites, perpendiculaires, moins apparentes, mais également aiguës, et recouvertes en parties par les lèvres. Il est essentiel encore que les chiens aient la tête forte, les oreilles longues et souples, le cou gros et bien attaché, les jointures des ergots écartées les unes des autres, les cuisses droites, et tournées plus en dedans qu’en dehors; les pattes larges et le pas bruyant, les doigts écartés, les ongles durs et recourbés, la plante du pied molle, et pour ainsi dire dilatable comme du levain, et non pas dure comme de la corne; le corps effilé au point de jonction des cuisses, l’épine du dos ni saillante ni convexe, la queue épaisse, la voix sonore, la gueule bien fendue, et le poil blanc de préférence, afin qu’on puisse facilement les distinguer des bêtes fauves dans l’obscurité de la nuit. On veut aux chiennes de grosses tettes de dimension égale. La race des chiens est encore une chose à considérer. Il y a celle de Laconie, celle d’Épire, celle du Salento, ainsi désignées des pays d’où elles tirent leur origine. Voulez-vous acheter des chiens, ne vous adressez ni aux bouchers ni aux chasseurs de profession. Les chiens de boucher ne sont point dressés à suivre le bétail; et les chiens de chasse laissent là les brebis pour courir après le premier lièvre ou cerf qui vient à passer. Les meilleurs chiens sont ceux qu’on achète à des bergers, et qui sont déjà dressés à suivre les troupeaux, ou ceux dont l’éducation n’est point encore faite. Le chien prend facilement toute habitude qu’on veut lui donner, et s’attache plus au berger qu’au troupeau. P. Aufidius Pontianus d’Amiternum avait acheté des troupeaux de brebis au fond de l’Ombrie. Les chiens étalent compris dans le marché, et les bergers devaient accompagner les troupeaux jusqu’à la foire d’Héraclée et aux bois de Métaponte (près de Tarente). En conséquence, arrivés au lieu convenu, mes gens retournèrent chez eux sans les chiens. Mais, peu de jours après, ceux-ci, regrettant sans doute leurs anciens maîtres, vinrent d’eux-mêmes les rejoindre en Ombrie, à plusieurs journées de distance et, sans s’être nourris autrement que de ce qu’ils trouvèrent dans les champs. Notez bien qu’aucun de ces bergers sans doute n’avait fait usage de la recette recommandée par le livre de Saserna. Pour se faire suivre d’un chien, on n’a qu’à lui donner une grenouille cuite dans l’eau. Il importe d’avoir ses chiens tous de même race; car cette espèce d’amitié fait qu’ils se soutiennent. Quant à l’achat, qui est le quatrième dans l’ordre des considérations, même forme de transmission de la propriété; et mêmes stipulations de garantie, en cas de répétition ou de maladie de l’animal, pour les chiens que pour tout autre bétail, sauf les exceptions qui peuvent être utiles. Quelques-uns fixent le prix à tant par tête; d’autres introduisent la condition que les petits suivront leur mère; d’autres enfin stipulent que deux petits ne comptent que pour un adulte, de même que deux agneaux pour une brebis. En général on comprend dans le marché tous les chiens qui ont coutume d’être ensemble. La nourriture du chien a plus de rapport avec la nourriture de l’homme qu’avec celle de la brebis, puisqu’on lui donne des os et des restes de table, et non des herbes ou des feuilles. Il faut avoir grand soin de lui donner à manger; autrement la faim lui fait déserter le troupeau et chercher sa vie ailleurs. Parfois aussi, poussé par le besoin, il pourrait démentir l’ancien proverbe, et commenter la fable d’Actéon, en tournant ses dents contre son maître. On fera bien de leur donner du pain d’orge détrempé dans du lait; une fois habitués à cette nourriture, ils ne s’éloignent pas facilement. Quand il meurt une brebis, gardez-vous de leur en laisser manger la chair, de peur qu’ils n’y prennent goût, et ne veuillent plus s’en passer ensuite. On donne du bouillon fait avec des os, ou les os eux-mêmes, après les avoir cassés. Ils se fortifient les dents à ronger; et l’avidité avec laquelle ils cherchent la moelle leur élargit la gueule, en donnant du jeu à leurs mâchoires. Habituez-les de bonne heure à prendre leur repas de jour dans les lieux mêmes où paît le troupeau, et celui du soir dans l’étable. Quant à la propagation de l’espèce, on fait couvrir les chiennes aux premiers jours du printemps. C’est l’époque où elles sont en chaleur (catuliunt). Une chienne, fécondée alors, met bas vers le solstice; car cette espèce porte ordinairement trois mois. Il faut dans l’intervalle la nourrir de pain d’orge de préférence à celui de froment, parce qu’il est plus nourrissant et donne plus de lait. Quant aux petits, Il faut tout d’abord choisir dans une portée ceux qu’on veut élever, et jeter les autres. Plus on en ôte à la mère, plus ceux qui restent deviennent forts, le lait étant moins partagé. On leur fait un lit de paille, ou de quelque substance analogue; car, mollement couchés, ils profitent mieux. Les petits chiens commencent à voir clair au bout de vingt jours. On les laisse avec leur mère pendant les deux premiers mois, et peu à peu ils s’en déshabituent d’eux-mêmes. On dresse les chiens en en réunissant plusieurs qu’on excite à se battre ensemble : cet exercice les dégourdit. Mais il ne faut pas le pousser au point de les fatiguer et de les affaiblir. Pour les accoutumer à l’attache, on commence par un lien léger, en les battant chaque fois qu’ils font mine de le ronger, jusqu’à ce qu’ils en perdent l’habitude. Quand il pleut, on garnit leur loge d’herbes et de feuillage, afin de les tenir propres et de les préserver du froid. Quelques-uns croient, en les châtrant, leur ôter l’envie de s’éloigner du troupeau. D’autres s’abstiennent de cette opération, qui, selon eux, les énerve. Il en est encore qui leur frottent les oreilles et l’entre-deux des ergots avec des amandes pilées dans de l’eau, pour les garantir des mouches, des tiques et des puces, dont la piqûre engendre des ulcères dans ces parties. On empêche les chiens d’être blessés par les bêtes féroces, au moyen d’une espèce de collier qu’on appelle mellum; c’est une large zone de cuir bien épais, qui leur entoure le cou. On a soin de la hérisser de clous à tête, de la garnir, en dessous, d’un autre cuir plus douillet, qui recouvre la tête de ces clous, et empêche le fer d’entamer la peau du chien. Du moment qu’une bête féroce, loup ou autre, a senti les clous qui garnissent le collier, tous les chiens du troupeau, avec ou sans collier, sont à l’abri de ses attaques. Le nombre des chiens doit être en raison de la force du troupeau. D’ordinaire on en compte un par berger; mais cette proportion peut varier dans certains cas. Si, par exemple, les bêtes féroces abondent dans le pays, il faut multiplier les chiens. C’est une nécessité quand l’on conduit un troupeau à quelque lointaine station d’hiver on d’été, et qu’on a des forêts à traverser; à un troupeau sédentaire un couple de chiens suffit. Il est bon que ce soit mâle et femelle : ils en sont plus attachés, et, par émulation, plus hardis. D’ailleurs, si l’un des deux est malade, le troupeau ne chôme pas. Ici Atticus regarda autour de lui, comme pour dire: Ai-je oublié quelque chose? Voilà un silence, m’écriai-je, qui appelle en scène un autre interlocuteur. ...

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